L’Europe s’accorde enfin sur l’euro numérique : un pas vers la souveraineté ou un projet déjà dépassé ?
Pendant que les États-Unis embrassent Bitcoin sous l’impulsion de Trump, l’Europe, elle, avance à pas feutrés sur son propre projet de monnaie numérique. Le 19 septembre 2025, à Copenhague, les ministres des Finances de l’UE ont enfin trouvé un “compromis” sur la feuille de route de l’euro numérique . Une avancée, certes, mais qui soulève une question que je me pose depuis le début de ce projet : l’Europe n’est-elle pas en train de construire la locomotive à vapeur de demain ?
Le pouvoir politique reprend la main
Le cœur de cet accord, c’est un jeu de pouvoir. La Banque Centrale Européenne (BCE), qui pilote le projet depuis le début, a dû céder du terrain. Désormais, les ministres des Finances de chaque pays auront leur mot à dire sur deux points essentiels : la décision finale de lancer l’euro numérique et, surtout, la fixation du plafond de détention pour chaque citoyen.
Paschal Donohoe, qui préside ces réunions, l’a formulé avec toute la diplomatie requise : “il y aura une possibilité de discussion au sein du Conseil des ministres” . Traduction : la BCE ne sera pas seule maître à bord. Une bonne chose, quand on connaît la tendance des institutions techniques à ignorer les réalités politiques et sociales.
L’obsession de la “souveraineté”
Pourquoi un tel projet ? Christine Lagarde, la présidente de la BCE, le martèle : c’est une question de souveraineté. L’idée est de créer une alternative européenne aux géants américains Visa et Mastercard, qui dominent 65% de nos paiements par carte, et de contrer l’influence des stablecoins adossés au dollar, qui représentent 99% du marché .
Sur le papier, l’intention est louable. Dans les faits, on peut se demander si l’Europe ne réagit pas avec plusieurs années de retard à une révolution déjà bien entamée.
La grande question du plafond : 3 000 euros et puis c’est tout ?
Le point le plus débattu est sans doute le plus absurde : combien d’euros numériques aurez-vous le “droit” de détenir ? La BCE planche sur une limite autour de 3 000 ou 4 000 euros par personne . L’objectif avoué est d’éviter une panique bancaire où tout le monde viderait son compte courant pour se réfugier sur l’euro numérique, plus sûr car directement garanti par la BCE.
Cette limite, si elle rassure les banques commerciales qui craignent pour leur modèle économique, pose une question fondamentale : comment un instrument de paiement aussi limité peut-il réellement concurrencer la flexibilité des stablecoins ou même des services de paiement traditionnels ? On nous promet un système de “cascade” (waterfall) pour lier le portefeuille au compte bancaire, mais cela ressemble à une rustine complexe sur un design fondamentalement bridé.
Un calendrier qui laisse perplexe
Le calendrier annoncé a de quoi faire sourire (ou pleurer) un entrepreneur de la tech :
- Législation finalisée ? Peut-être en juin 2026.
- Lancement ? Pas avant 2029, si tout va bien .
En 2029 ! Dans le monde de la crypto, c’est une éternité. D’ici là, l’écosystème aura connu plusieurs cycles, de nouvelles technologies auront émergé, et l’adoption des stablecoins privés aura probablement explosé.
Le projet crypto de l’Europe est-il encore pertinent ?
Le rapporteur du Parlement européen, Fernando Navarrete, a eu le courage de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : l’euro numérique est une “solution à un problème que personne n’a demandé” .
De mon point de vue d’observateur de cet écosystème, l’euro numérique arrive trop tard et avec trop de contraintes. Il est pensé comme un outil de contrôle et de stabilité pour un système financier du XXe siècle, pas comme un instrument d’innovation pour le XXIe.
Alors que les États-Unis ont choisi de laisser le champ libre à l’innovation privée (stablecoins) tout en intégrant un actif décentralisé comme Bitcoin dans leur stratégie, l’Europe opte pour une solution centralisée, contrôlée et limitée.
Ce n’est pas un projet qui fera rêver la communauté crypto. C’est, au mieux, une tentative de rattrapage, une modernisation nécessaire de l’infrastructure de paiement de la zone euro. Mais en aucun cas une révolution. L’Europe s’assure une place dans le jeu des monnaies numériques, mais elle choisit de jouer avec un coup de retard.
Reste à voir si, d’ici 2029, ce projet n’aura pas été complètement dépassé par les événements. Qu’en pensez-vous ? L’Europe a-t-elle raison de jouer la carte de la prudence, ou est-elle en train de rater une nouvelle fois le train de l’innovation ?