Dans un revirement intellectuel spectaculaire, Kenneth Rogoff, professeur d'économie à Harvard et ancien économiste en chef du FMI, a publiquement admis s'être trompé sur sa prédiction tristement célèbre de 2018. À l'époque, il affirmait que Bitcoin avait plus de chances de tomber à 100 dollars que d'atteindre 100 000 dollars en dix ans. Aujourd'hui, il reconnaît avoir manqué trois éléments fondamentaux qui expliquent la résilience et la valeur de la cryptomonnaie.
Cette admission n'est pas anecdotique. Elle vient d'une figure de l'establishment économique qui a longtemps incarné le scepticisme institutionnel. Son "mea culpa" est une validation puissante de plusieurs thèses défendues par la communauté crypto depuis des années et un signal que la compréhension de cet actif a changé, même au plus haut niveau.
Pour saisir la portée de cette annonce, il faut se souvenir du contexte de mars 2018. Le marché crypto était en plein hiver, les prix s'effondraient, et la voix de Kenneth Rogoff, une autorité mondiale, avait un poids considérable. Son argument était simple et logique, vu du prisme de la finance traditionnelle :
> "En gros, si vous enlevez la possibilité du blanchiment d'argent et de l'évasion fiscale, ses utilisations réelles en tant que véhicule de transaction sont très faibles."
Il était convaincu qu'une réglementation mondiale stricte finirait par étouffer Bitcoin, le privant de son principal cas d'usage et faisant chuter son prix. C'est sur ce raisonnement qu'il a basé sa prédiction.
Sept ans plus tard, Rogoff analyse lui-même ce qu'il a manqué. Ses conclusions sont une leçon magistrale sur la nature unique de Bitcoin.
"J'étais bien trop optimiste quant au fait que les États-Unis retrouveraient la raison en matière de réglementation crypto sensée", admet-il. Il s'attendait à ce que les gouvernements agissent de manière décisive pour préserver leur monopole fiscal et lutter contre les activités illicites. Il a sous-estimé la résilience du réseau et la difficulté pour les États de coordonner une interdiction mondiale efficace. L'échec des gouvernements à "tuer" Bitcoin est le premier pilier de son erreur.
C'est peut-être son admission la plus frappante. Rogoff reconnaît qu'il n'avait "pas apprécié à quel point Bitcoin concurrencerait les monnaies fiduciaires pour servir de moyen de transaction de choix dans l'économie souterraine mondiale de vingt trillions de dollars".
Il comprend maintenant que ce que les critiques voient comme un "défaut" (son utilisation pour des activités illicites) est en réalité une source de demande fondamentale et inébranlable. Cette demande, explique-t-il, crée un "plancher de prix" pour Bitcoin, une thèse longtemps défendue par les analystes pro-crypto.
Son troisième point est le plus politique et le plus critique envers le système actuel. "Je n'avais pas anticipé une situation où les régulateurs, et en particulier le régulateur en chef, pourraient détenir de manière éhontée des centaines de millions (sinon des milliards) de dollars en cryptomonnaies", écrit-il.
Il souligne un conflit d'intérêts flagrant où ceux qui sont censés réglementer l'écosystème sont devenus eux-mêmes des investisseurs majeurs. Cela explique en partie, selon lui, pourquoi la réglementation n'a pas été aussi sévère qu'il l'avait prévu : les arbitres sont devenus des joueurs.
L'autocritique de Kenneth Rogoff est un événement marquant. Elle symbolise la capitulation progressive d'une vision économique traditionnelle face à un actif qui ne rentre dans aucune case. Son analyse montre que la valeur de Bitcoin ne repose pas seulement sur l'adoption par le grand public, mais aussi sur sa capacité à servir de système financier parallèle, résistant à la censure et à la régulation.
Cette admission ne valide pas seulement le prix de Bitcoin, mais surtout les raisons profondes de son existence. C'est la reconnaissance, par l'un de ses plus grands sceptiques, que les modèles classiques ne suffisent plus pour comprendre cet "or numérique" et le monde complexe dans lequel il évolue.
Rédigé par Mouctar Conte, fondateur de Le Journal Crypto – votre source d'actualités blockchain et crypto, fiable et francophone.